Au bord du lac

Publié le par Quadehar

Au bord du lac

 




       Prenons une scène banale de la vie quotidienne. Une quinzaine d'adolescents se sont retrouvés au lac, en un chaud après-midi d'août. Certains sont dans l'eau, d'autres restent à bronzer sur leur serviette étendue sur les galets tièdes et s'assoupissent, ou discutent ensemble. Le ciel est d'un bleu azuré, pas un nuage ne trouble l'horizon ; une brise tiède vient calmer les ardeurs de l'astre brillant et agiter les branches des quelques arbres qui bordent l'eau. Leur feuillage, pour ceux qui prennent le temps de l'admirer, forme un camaïeu de vert des plus agréables. Régulièrement, le cri d'une mouette vient ponctuer le bruit du vent et des vagues, des rires et des discussions, provoquant irrésistiblement quelques coups d'oeil en l'air. Il n'est nul besoin de préciser qu'une douce odeur saline apaise les sens, ou même que l'eau est limpide : vous l'aurez compris, le cadre est idyllique.
 

       Là, vers le centre, c'est moi, David ; je suis assis sur ma serviette, et je discute avec quelques amis de la dernière fête en date, qui fut particulièrement inoubliable. On évoque les moments les plus mémorables à grand renfort de rires et de remarques amusées, et les moins marquants également. Mais au delà de cette conversation, au plus profond de moi-même, je plane, je rêve, je me tiens en équilibre précaire sur la vague de bonheur qui a tout instant risque de me submerger, repoussant sans cesse la tentation d'y plonger et de m'y oublier. Pris d'une impulsion subite, je me lève et cours me jeter à l'eau, indifférent à l'assaut lancinant des galets sous mes pieds nus. L'onde est fraîche ; et sans l'être excessivement, cette brusque baisse de température est accueilli avec un grand frisson de plaisir par mon corps. Réorientant les épaules, j'émerge à la surface et secoue la tête, envoyant de-ci de-là de multiples gouttelettes scintillantes. Sans me retourner, je plonge à nouveau vers le large, nageant au maximum sous l'eau, savourant pleinement la sensation de bien-être qui me submerge, et la conquête d'une nouvelle dimension. Après quelques dizaines de mètres parcourus, je me retourne et repars vers la rive, le corps bien réveillé et alerte. Trébuchant légèrement sur les galets, je sors et passe rapidement la serviette sur mon torse mouillé. Ceux avec qui je discutais sont partis entre-temps jouer au volley. Tant mieux, je préfère être seul pour repenser à...
 

«  Hey ! Alors, comment ça va ?

- Ben super, super top même, et toi ?

- Ça va... »

       Je fixe l'arrivante en attendant la suite, un sourire neutre au bout des lèvres. De la fréquence de nos conversations ces derniers temps, j'en déduis qu'elle n'est pas là simplement pour s'enquérir de mon état. Mon accueil la trouble légèrement, et elle hésite un instant, portant sa main aux doigts fins et longs à mi-hauteur de sa joue avant de la refermer et de la descendre au niveau de ses hanches. Je contemple un instant pensivement sa silhouette aux formes séduisantes sans la voir, puis reporte mon attention sur son visage. Derrière ses mèches au teint blond foncé, son regard me fixe soudain d'un air décidé. Lâchant un léger soupir presqu'inaudible, elle semble se jeter à l'eau :

« Écoute David, j'ai quelques questions à te poser. Bingo ! Quant à la teneur de ces questions, j'avoue qu'elle m'échappe complètement.

- Je vois... Vas-y, pose-les.

- Tu parles pas mal à Sandrine ces derniers temps, non ?

- C'est... plus ou moins le cas, oui. Je reste prudent, mais je commence à deviner quelle sera sa première question.

- Est-ce que tu saurais... Légère hésitation. Qu'est-ce qu'elle a exactement ces temps ? On raconte des trucs, on dit que...

- Je sais très bien ce que disent les rumeurs, c'est mon métier. Sandrine est ton amie, or tu ne lui a pas demandé directement. On sait tous deux pertinemment pourquoi tu préfères t'adresser à moi plutôt qu'à elle... Tu veux savoir si ce qu'on dit est vrai ? Je collectionne les vérités, mais ne compte par sur moi pour te livrer celle-ci ! »
 

       Elle est surprise de ma réaction, cela se lit sur son visage, à la façon dont ses deux fossettes se plissent, à la façon dont ses cils papillonnent. D'habitude, j'aurais usé de moins de franchise et de plus de délicatesse – de tact même. Mais tout cela me semble si futile aujourd'hui ! Et puis elle ne se vexera pas : elle a d'autres questions à me soumettre. Mon analyse semble bonne, puisqu'ayant repris contenance, elle poursuit :

«  Ok, je comprends. Faux. Elle semble si abattue ces derniers temps, si bizarre... Je m'inquiétais simplement pour elle. Faux. Mais vous avez l'air d'être de plus en plus proches non ? C'est cool ça ! »
 

       Nous y voilà, deuxième question à peine dissimulée. Je réponds sèchement, sans me départir de mon sourire, et fixant le vert de ses yeux, afin de m'assurer que mon message restera gravé dans son esprit : « Si tu fais référence à une quelconque possibilité qu'on sorte ensemble elle et moi, alors c'est non. Définitivement. Quant à une vraie amitié, ça me semble également exclu. Du moins pour l'instant. »

       Encore une fois, Sonia semble désarçonnée. Je viens tout juste de tuer dans l'oeuf son deuxième espoir d'avoir un ragot qu'elle aurait pris plaisir à faire circuler. Elle ne part pas, ce qui m'indique qu'elle a sans doute d'autres questions en réserve, qu'elle tient à poser malgré la froideur de mes réponses. Encore un léger silence, qu'elle semble trouver embarrassant. J'en profite pour détailler sa posture. Son corps est positionné légèrement en retrait : elle est sur la défensive, elle a sans doute remarqué que j'avais compris là raison de sa présence, à savoir simplement assouvir sa soif de commérages et d'intrigues de basse-cours. Elle sait quelle image j'ai d'elle à ce moment précis et elle en a peur. Un esprit si laid dans un si beau corps, quel gâchis ! Son regard est maintenant légèrement fuyant, alors qu'il était fixe et résolu au début de la conversation. Encore une réponse et elle partira. Tant mieux. Sa bouche s'entrouvre une nouvelle fois alors qu'elle inspire et prend la parole :

« Ah ok... On dirait pas pourtant ! Bon, une dernière question puis je te laisse, tu n'as pas l'air d'aller super bien. Ma foi, il faut reconnaître que la sienne, de foi, est mauvaise. Qu'est-ce que tu penses du nouveau copain d'Elicia ?

- C'est un mec génial ! Je réponds sans hésiter. Du peu que je le connais, il m'a l'air honnête, sympathique - marrant sans doute - et surtout follement amoureux, c'est le principal. Ils vont bien ensemble. Mon sourire se fait franc et chaleureux. J'ai hâte de le connaître mieux, ça va apporter un peu de sang neuf ! »

       Sonia fait la moue. Elle est encore plus belle comme ça, mais je ne m'y attache pas. Son dernier espoir de ragot vient de s'envoler. Si elle savait à quel point ses intentions sont limpides ! Je suis las des ces commérages et de ces coups dans le dos. De toutes ces futilités avilissantes, ces préoccupations qui, au final ne servent à rien. Poupée Sonia est une coquille vide, une de plus. Remplie d'ombre, vide de vie ; je préfère être heureux. Je me retourne vers le couple dont il est question. Le soleil semble plus brillant autour d'eux. Ils sont là, mais ne sont pas là : ils sont dans leur bulle, enlacés à l'écart du monde. Leur rire résonne comme étrangement pur, et en même temps étrangement lointain. Elle le taquine, il sourit avec tendresse ; c'est aussi simple que ça le bonheur. Devant mon mutisme, Sonia s'éloigne sur un nouveau soupir. Moi, je les regarde toujours, et sans m'en rendre compte, ce n'est plus leurs deux visages que je vois, mais le mien et celui de la fille qui habite mon coeur. Une bouffée de joie vient perturber mon équilibre précaire et me projette tout droit sur cette vague de félicité dans laquelle je me retiens de plonger depuis deux jours. Tout lien à la réalité se coupe, je m'immerge sans chercher à remonter, je savoure la déferlante d'image et cette sensation de vie, d'euphorie et d'ivresse. Plus rien n'a d'importance. Si, Elle. Son image, sa voix, son rire, ses mots, ses yeux, son parfum, sa peau. L'essence même de son être. Flash-back.


       C'était le premier jour du reste de ma vie, mais je ne le savais pas encore. Malgré une légère fatigue, j'avais tout de même décidé de me rendre à une fête organisée au bord du lac. Je m'était habillé de façon plutôt décontractée, avec une chemise en coton à manches courtes et un jean. Bien que le soleil n'ait pas encore totalement disparu à l'horizon, l'endroit était déjà très animé et la soirée promettait d'être divertissante. J'ai rejoint mes amis et nous avons discuté un bon moment, un verre à la main, une conversation enthousiaste et insouciante comme, semble-t-il, seuls les jeunes sont capables d'en tenir. Sans doute avons-nous été un moment sur la piste de danse après ça, avant de nous rendre au bord de l'eau, sur les rochers, afin de contempler les feux d'artifice. J'avoue que jusqu'au début des feux, ma mémoire est peu précise. Après, en revanche, elle a la netteté d'une bande vidéo préservée de l'usure du temps. Alors que je venais de lever les yeux vers le spectacle aérien, une personne passa dans mon champ de vision, attirant mon regard vers le bas. Je mis plusieurs secondes à la reconnaître. Il s'agissait de Clara, une fille que j'avais connue et perdue de vue quelques années auparavant. Dire qu'elle avait changé est un euphémisme. Il n'y avait plus trace de sa silhouette autrefois enfantine ; son corps avait pris la maturité qui sied tant aux femmes, et même bien davantage, tant ses courbes inspiraient harmonie et provocante volupté. Changement le plus marquant, sa chevelure autrefois brun cuivré arborait désormais un blond parfait. Les traits de son visage s'étaient affinés et offraient maintenant une image fidèle de la perfection froide et altière ; son allure et son maintien avaient gagné en prestance. Sous le coup de la surprise, je restai figé une longue minute à la fixer, alors même qu'elle m'avait dépassé depuis un moment, avec la légèreté de l'ange qu'elle semblait être.

       Mais en fait d'ange, je devais m'apercevoir qu'elle n'en était qu'une pâle copie. En effet, quand je fis la connaissance de celle qui allait changer mon existence, un peu plus tard dans la soirée, le paradis sembla s'ouvrir devant moi. Elle répondait au nom de Camille, et n'était pas plus belle que Clara, loin de là. Mais elle semblait illuminée de l'intérieur, d'une lumière douce et rassurante, chaleureuse et attirante tout à la fois. Elle était jolie, non pas de cette beauté provocante et hautaine propre à Clara, mais de cette beauté fragile et innocente, de cette candeur fraîche et involontaire qu'ont les plus douces personnes. Son charme tenait autant à son apparence qu'à sa personnalité, et j'eus la certitude absolue qu'à nul autre elle n'apparaissait pareille qu'à moi, que je la voyais ainsi car elle était mon parfait complément. Et pourtant, comment pouvaient-ils passer devant elle en ne lui accordant guère qu'un regard admiratif, et non un regard empreint de dévotion et de passion ? Comment pouvaient-ils demeurer insensibles à la perfection incarnée ? Nous discutâmes pendant tout au plus trois courts quarts d'heure avant qu'elle ne parte. Trois quarts d'heure parfaits.

       Le vent se lève progressivement sur le lac, me ramenant trop tôt à la réalité du monde qui m'entoure, alors que dans mon esprit, doucement, Camille se retourne et part vers un ailleurs trop lointain. Le soleil brille encore, mais la journée semble toucher à sa fin ; le vert des arbres s'assombrit, et les premiers amis commencent à partir : il fait froid. Je salue machinalement, accompagnant chaque mot par un sourire absent. Absent, je le suis en effet, mais d'une façon que peu pourraient comprendre. Tout va bien, mais il manque l'essentiel ; c'est un rêve sans consistance. Malgré le peu de clarté, j'aperçois les nuages qui se profilent au loin. Maintenant, tous sont partis mais je ne bouge pas, je reste là et je regarde les eaux calmes et sombres. Apparaît la nuit, s'éclaire la lune ; apparaissent les étoiles, débute leur symphonie céleste. Le vent s'y accorde, l'accompagne, la sublime, bientôt suivi par les habitants de la nuit qui stridulent en rythme. La symphonie prend de l'ampleur, et sans perdre de sa douceur, s'élève entre les arbres, se mêle à leur sève, passe leur feuillage et s'élance à l'assaut du ciel. Mes oreilles s'ouvrent, mes yeux se ferment.

 

Harmonie dans la trame du monde,
Lien étiré dans son entier,
Je t'attends.

Publié dans Récits

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S
<br /> <br /> je te trouve un peu virulent azazel! quand même, se repetre du malheure des autres c'est un peu gros! c'est même carrément cruel, alors si c'est ta maniere de faire avec les gens arrete tout de<br /> suite parce que ce que tu ne sais pas c'est que peut être derriere ces coquilles vides se cache un profond besoin de reconaissance , ou d'être aimé alors reagire comme ça ne peut que leur faire<br /> plus de mal.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> la nouvelle est super. Ce sont des sentiments tellements courant que de le rencontrer dans un texte est super rafraichissant !! le ton employé est très doux, très calme! c'est appaisant. surtout<br /> la fin !<br /> <br /> <br /> a bientôt<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
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J
wouhaw ... tout simplement xD<br /> bien rédigée ... j'aprécie le style ^^
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J
pour commencer azael tu naurais jamais du écrire quelque chose d'aussi pathétique.. et si tu méprise ma réaction ces parce que tu vie dans l'ignorance. J'ai adoré ce texte et je tien vraiment a ce que tu lise « Le Secret ».
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A
Joli texte. Mais si tu côtoies vraiment tant de coquilles vides, remplis-les! Même la plus récalcitrante des oies apprècie son gavage, tant que l'entonnoir est approprié à sa gorge. Remplis ces volailles là d'idées sombres, de rumeurs avilissantes, ou même de foutre, et détruis-les! j'ai toujours pris bien plus de plaisir à casser la coque d'une noix, plutôt qque d'apprécier sa saveur.<br /> Tu verras, il n'y a pas de meilleur remède au chagrin que celui des autres.
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D
Bonjour j'aime beaucou ce texte et si il provient d'un livre j'aimerai le lire. C'est assez bizzard de voir qu'on utilise son prénom dans des textes si beaux.
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Q
<br /> Bonjour,<br /> <br /> Ce texte, comme la totalité des textes présents sur le blog, est de moi. Je te remercie pour ton compliment, ce texte s'inspire énormément de diverses situations de ma vie, et bien que je ne<br /> m'appelle pas David, j'ai préféré changer de prénom pour marquer une marge de distance avec le personnage qui ne me correspond pas exactement, mais qui est plutôt celui que j'"aimerai" être.<br /> <br /> <br />